Quelques notes sur les communs

Publié le 05/02/2025

J’ai trouvé l’introduction du livre Les Communs de Édouard Jourdain publié dans la collection “Que sais-je ?” des Presses Universitaires de France très éclairantes, voici quelques points clés que je voulais vous partager.

Publié en 2021 par un chercheur en théorie politique, l’ouvrage propose une synthèse du concept de “commun” en une centaine de pages. Composé de 4 chapitres, l’auteur revient sur l’histoire du concept, sa dimension légale, économique et enfin politique.

Dans l’introduction, les communs sont présentés comme une gestion des choses alternative à la propriété privée et l’État. Re-popularisé dans les milieux militants par Naomi Klein au tournant des années 2000, ils sont vus dans nos temps présents comme une réponse à l’ultra privatisation des années 80.

On a rapidement identifié ce mode de gestion alternatif pour des choses comme des prairies ou des rivières1, où la chose est accessible à tout le monde, mais dont l’usage de la ressource par un individu prive les autres (rivale et non exclusive dans le jargon). Elinor Ostrom, prix nobel d’économie, en a fait son sujet d’étude.

Pour autant, il ne faudrait pas avoir une lecture naturaliste ou essentialiste des communs : ces exemples basés sur des ressources naturelles ont émergé “d’une indisponibilité de la propriété”2 où une pratique du partage s’est instituée pour combler ce vide. On peut donc envisager une pratique des communs là où la propriété est disponible, mais il faudra la faire émerger “face à la propriété”.

D’autres approches des communs mettent les ressources au second plan pour se focaliser sur la production de règles par le groupe. Ces règles sont alors des fondations pour gérer une communauté et son environnement en autonomie. Il est entre autre noté qu’un commun peut être “plus ou moins fermé”, son degré d’ouverture étant une de ses caractéristiques.

Des conférences réunissants académiques et militants ont proposé une synthèse de ces différentes approches autour de 2010/20153. Pour conclure son introduction, l’auteur livre sa définition des communs :

Des institutions gouvernées par les parties prenantes liées à une chose commune ou partagée (matérielle ou immatérielle) au service d’un objet social, garantissant collectivement les capacités et les droits fondamentaux (accès, gestion et décision) des parties à l’égard de la chose ainsi que leurs devoirs (préservation, ouverture et enrichissement) envers elle.

Je trouve ça intéressant de réfléchir à comment on pourrait organiser en regard “des communs” autour de nos services numériques. La chose commune serait nos serveurs et le logiciel qui tourne dessus. Les parties prenantes seraient les usager-es des services, mais aussi les gens hébergeant les machines, les gens assurant la maintenance logiciel, et enfin les gens assurant toute le reste de la vie de l’association (de la comptabilité à l’organisation d’évènements et la communication). Il s’agirait donc de réfléchir comment toutes ces parties prenantes peuvent prendre part au projet, être entendue, s’y retrouver, bénéficier de ces services et contribuer au bon fonctionnement de ces services via leur temps comme via une contribution économique. Bien sûr il y aurait des débats, des échanges, sur l’allocation des ressources forcément limitées (stockage, calcul) entre services et usager-es, où on choisirait d’arbitrer entre nos valeurs, entre différentes aspirations contradictoires.

À voir bien entendu comme un horizon, lointain, bouleversant. Mais pas innateignable. Déjà, prendre l’habitude de rendre compte de nos décisions, de manière compréhensible, auprès des usagers est un premier pas en ce sens selon moi. Il ne reste plus qu’à dérouler la pelotte de laine ensuite…


  1. L’exemple récurrent de communs sont les prairies du Moyen Âge en Angleterre qui seront confisquées par quelques propriétaires, principalement vers le XVIème siècle, dans ce qu’on appelle le mouvement des enclosures. Les Aflaj d’Oman, avec plus de 3 000 systèmes d’irrigation gérés par les populations locales à un endroit où l’eau est rare, peut-être envisagé comme un commun contemporain. 

  2. Je comprends cette “indisponibilité de la propriété” comme le fait que les lois ne sont pas adaptés à la prise en charge de cette chose, qu’elles ne sont pas en mesure de répondre aux défis/besoins liés à la gestion de cette chose, et donc qu’il a fallu autre chose pour les gérer. Les communs ont émergé dans ces lieux pour combler un vide. 

  3. Comme la “Constituante des Biens Communs” qui a eu lieu en Italie qui a été lancée depuis le Théâtre Valle. On peut en apprendre plus dans l’article Le principe du commun, principe d’un nouveau droit d’usage