Attention, le ton de cet article est volontairement polémique. C’est mon blog après tout, mais vous n’êtes pas obligé de le lire non plus. Préservez-vous !
Ces dernières années, j’ai vu le mode sombre se généraliser un peu partout : dans les applications, dans les OS, sur les sites webs. Souvent comme version alternative au mode clair, parfois avec le mode sombre activé par défaut, et parfois sans alternative du tout. À ce sujet, Spotify et Steam s’illustrent comme de vrais pionniers de cette mode détestable : je ne crois pas qu’ils aient eu un mode clair un jour. Mais plutôt que d’assumer cette mode (de mauvais goût), on entend souvent des justifications techniques, voire biologiques, et c’est pour moi la goutte qui fait déborder le vase.
D’abord quand j’entends “mes pauvres yeux, tout ce blanc me brûle la cornée”, ça me fait bien rire. Comme si la luminosité des écrans était un problème. En réalité, elle n’a pas arrêté d’augmenter depuis des années. En 2010, un Google Nexus One avait une luminance mesurée à 229 nits (candela par mètre carré)1. Un iPhone 14 peut monter à 2 000 nits2, soit 10x plus. C’est même un argument de vente d’Apple.
Faites l’expérience, retrouvez un smartphone, un baladeur MP3, un ordinateur portable d’il y a 10 ans et regardez à quel point il est peu lumineux comparé à votre smartphone récent. Notez combien il est compliqué de lire dessus en plein jour, même en intérieur. Mesurez l’effort que vous devez faire quand le fond est sombre. Maintenant, imaginez-moi en extérieur, avec mon ordinateur portable de 2013, en train de forcer sur mes yeux pour essayer de décoder 2/3 mots sur votre site sombre, la (faible) luminosité de mon ordinateur au maximum. Et pour les quelques fois où vous utilisez votre écran dans le noir, faites-vous une faveur : allumez la lumière, achetez un réveil et retournez vous coucher… Et sinon Apple a pensé à vous avec son mode “always on”3 dans l’iPhone 14, la luminosité de l’écran se retrouve très atténuée : le problème et la solution dans le même produit.
Mais me diriez vous, “ça consomme moins d’énergie et du coup ça préserve la batterie”. D’ailleurs, quand la batterie est basse sous Android, l’interface devient sombre. Si ça n’est pas un signe. Sauf que… cette logique ne fonctionne qu’avec un certain type d’écrans, ceux à base de LED. En gros, chaque pixel est une petite loupiotte qu’on peut allumer ou éteindre indépendamment. Vu que noir = éteint, on voit où est l’économie. En pratique, si votre luminosité est réglée sur moyen ou bas, la différence de consommation d’énergie n’est que de 3% à 9% (contre ~50% à pleine puissance)4. Vu que les écrans actuels sont des vrais lampes torches, on peut parier que la plupart du temps la différence de consommation sera marginale.
Et c’est sans compter sur le fait que cette technologie LED, qui existe depuis 2007 (en 2010 elle était sur notre Google Nexus One), ne s’est jamais démocratisée et reste donc l’apanage d’appareils haut de gamme. La plèbe, quant à elle, se coltine des écrans LCD : une grosse lampe allumée en fond, et un filtre devant qui laisse ou non passer la lumière. Si l’écran est noir, la lumière est quand même allumée, c’est juste qu’il y a un cache devant. Aucun gain ici à attendre donc, pire, pour avoir le même niveau de lisibilité, il faut augmenter la luminosité, et donc consommer plus d’énergie. Et devinez quoi, mon smartphone (un Motorola Moto G5 de 2017) et mon ordinateur (un Dell Inspiron 7537 de 2013) ont tous les deux des écrans LCD. Encore au premier semestre 2023, moins d’un smartphone sur deux était vendu avec un écran LED5. Et pour les ordinateurs portables, on parle de 3% seulement : avec des écrans 2.5x à 3x plus cher6, on comprend pourquoi…
Voilà, vous savez maintenant pourquoi je pense que ce mode sombre n’est qu’un caprice d’enfant gâté. Et pourquoi j’enrage quand je lis des arguments complètement fantaisistes à ce sujet, alors que l’enjeu pour moi c’est de pouvoir lire ce qui est écrit sur mon écran. Je ne demande pas grand chose pourtant…
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Google Nexus One, Wikipedia. Le Nexus One dispose d’un écran AMOLED 3,7 pouces, avec une définition de 800 × 480 pixels, un contraste de ratio 100 000:1, une luminosité maximum de 229 cd/m2 et un temps de réponse de 1 ms. ↩
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iPhone 15, Apple. Luminosité maximale de 1 000 nits (standard) ; luminosité de pointe de 1 600 nits (HDR) ; luminosité de pointe de 2 000 nits (en extérieur). ↩
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Fonctionnalité “Toujours activé”, Apple. Avec la fonctionnalité Toujours activé, votre iPhone 14 Pro ou iPhone 14 Pro Max assombrit l’écran de verrouillage en affichant des informations utiles, telles que l’heure, les widgets et le fond d’écran, tout en utilisant de nouvelles technologies qui rendent l’écran incroyablement économe en énergie. ↩
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How much battery does dark mode save?: an accurate OLED display power profiler for modern smartphones). The average phone power saving across the apps on the 4 phones is significantly diminished from 40%, 39%, 42% and 47% under 100% brightness level to 9%, 9%, 7% and 9% under 50% brightness level and 3%, 6%, 6% and 4% under 30% brightness level, respectively. ↩
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OLED Displays in Smartphones Reach 49% Global Market Share in Q1’23. The global smartphone market has witnessed a significant surge in OLED display technology adoption, reaching a record high of 49% in the first quarter of 2023, according to Counterpoint. This signifies a substantial increase from the 29% share registered back in Q1’20. ↩
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Laptop Makers Bet on Better Display Tech to Rekindle Sales. The Taipei-based company, led by Hu and fellow engineer S.Y. Hsu, has a 55% share of the OLED notebook market today, having introduced its first such models two years ago. But it’s a small market: OLED represents about 3% of notebook shipments, according to Asus’ data. Cost is a key issue: a 15.6-inch OLED panel commands a price 2.5 to 3 times higher than a comparable LCD screen, according to IDC analyst Annabelle Hsu. ↩