Je déteste acheter du matériel informatique pour deux raisons : parce que c’est un achat imprévu causé par la défaillance prématurée de mon matériel actuel, et parce qu’il est très dur de s’assurer qu’on ne va pas acheter de la camelote.
L’acheteur aguerri ira bien entendu se renseigner en amont, mais franchement la plupart des guides ont une approche consumériste qui tiennent plus de l’unboxing que de la revue en profondeur. Ceci dit, je ne suis pas le premier à vouloir prendre la tangente, à l’image de Kris De Decker du Low-Tech Magazine qui écrivait Comment et pourquoi j’ai arrêté d’acheter de nouveaux ordinateurs portables.
Du coup j’ai décidé d’écrire mon propre guide dogmatique, plein de partis pris, mais qui aboutit à des recommandations concrètes, qui soit “actionnable” comme on dit. Alors peut-être qu’il ne vous plaira pas : n’hésitez pas à le critiquer sur votre blog, votre contribution sera un complément bienvenu à ce guide, on a besoin d’information !
Mon constat de départ, c’est que si votre budget est inférieur à 1 000 euros, vous aurez un bien meilleur ordinateur en tout point de vue en l’achetant d’occasion plutôt que neuf. Vous allez comprendre pourquoi !
Quelques principes
J’ai commencé par compiler quelques principes pour donner le ton du guide. Ce n’est pas grave si ça ne vous parle pas, on les met en pratique juste après.
Fabrication | La qualité de fabrication du chassis, des charnières, des composants, etc. est plus importante que les performances brutes. |
Standard | Toutes les “innovations” et gadgets sont souvent beaucoup moins robustes et dur à dépanner, plus c’est standard, plus c’est éprouvé. |
Occasion | Les ordinateurs portables est un marché “mature”, d’une année à l’autre les différences sont faibles. De plus, la défaillance des composants électroniques se fait selon une courbe en baignoire : très forte au début de leur vie, très faible pendant plusieurs année, et ça remonte très fort à un moment (eg. après 20 ans) |
Flagship | Tous les fabricants ont un modèle qui a fait leur renommée, vendu en quantité importante, et sur lequel leur image de marque est construite. Beaucoup plus de soin est apporté à ce modèle. |
Pièces détachées | Identifiez un modèle où les pièces sont remplaçables, identifiées avec un numéro de série, et où un marche officiel ou officieux existe. |
Gammes | Les fabricants fabriquent beaucoup de PC semblables. Identifier à quelle gamme ils appartiennent permet de comprendre quoi en attendre. |
Métriques | Il est souvent tentant de comparer les GHz, les Go, les BogoMips, ou même les références etc. pour choisir le plus grand nombre. Ces comparaisons ne sont pas pertinentes. |
Générations | (Souvent) les constructeurs d’ordinateurs et de composants renouvellent leur gamme chaque année. Il faut comparer les générations avant de comparer les métriques. |
Des heuristiques pour faire son choix
On ne va pas s’amuser à passer en revue tous les modèles d’ordinateur du marché à travers cette grille, surtout que peu de ces critères sont facilement accessibles. À la place, on va se baser sur des gens qui passent leur temps à acheter des PC qui seront intensément utilisés, les réparer, ont des contrats de support avec les constructeurs, etc. : les DSI (Direction des Systèmes d’Information) des organisations publiques comme privé.
De plus, en 2023, sur le marché du neuf, il n’est pas intéressant d’acheter un ordinateur portable en dessous de ~600 à ~800 euros. En fait, ces ordinateurs feraient mieux de ne pas être fabriqués du tout. Ça parait super élitiste comme discours à première vue, mais après on va voir que vous pouvez vous procurer un ordinateur portable d’occasion pour ~150 euros de bien meilleure qualité, alors ne vous arrêtez pas si vite !
En fait, en dessous de ~800 euros neuf, vous vous retrouverez au choix avec un châssis ultra-fragile qui cassera à la première occasion ou se délitera de lui-même, aucune possibilité de remplacement ou de mise à jour des composants, probablement un ou plusieurs composants lent, buggué, de mauvaise qualité, etc. Je ne suis pas le seul à le remarquer, et récemment l’utilisation de stockage eMMC a été une formidable idée pour générer des déchets électroniques au bout de quelques années seulement, sans parler des composants de plus en plus soudés sur la carte mère.
En résumé, en combinant nos deux heuristiques, on vise la gamme professionnelle et principale du constructeur d’ordinateur, les autres gammes étant soit des gammes spécialisées, soit pour réduire les coûts. Et ironiquement, on le paye cher à vouloir réduire les coûts…
Concrètement, quels modèles ?
Alors vous ne savez peut-être pas ce que les organisations achètent. Et bien sachez que ça tourne quasi exclusivement toujours autour de 3 fabricants : HP, Dell, et Lenovo. Basé sur nos heuristiques, on retiendra donc les gammes standards, c’est à dire HP Elitebook, Dell Latitude, et Lenovo Series T, le tout en 14” qui est une taille d’écran standard également. La suite c’est d’apprendre à décoder la référence du PC, pour retrouver sa génération, ses spécificités, et sa gamme. Bien entendu, le marketing adore brouiller les pistes, et le modèle de nommage des références change régulièrement…
Pour s’y retrouver dans ces gammes je recommande le meilleur guide d’achat au monde, Wikipedia en anglais ! Vous allez voir, je vous mettrai les pages au fur et à mesure.
On commence avec les références chez Lenovo, et bien entendu il y a deux motifs différents : avant et après 2020, voilà comment se décomposent les deux formats :
Dans le premier cas, la référence nous apprend qu’on a un Thinkpad T Series avec un écran 14”, de 2014, avec un processeur Intel, et en déclinaison p
(c’est à dire plus épais et extensible). Dans le second cas, on a toujours un Thinkpad T Series avec un écran 14” mais de 2021. Pour vous aider dans le décodage : Thinkpad T Series sur Wikipedia.
Notez que le modèle T440p spécifiquement a eu pas mal de succès auprès des geeks, et donc ce modèle précis est très bidouillable. Allez savoir pourquoi.
Et maintenant chez Dell, on a aussi une convention qui a évolué en 2017 :
Dans le premier cas, la référence nous apprend qu’on a un Dell Latitude, de performance standard et format standard, un écran de 14”, de environ 2016, et sans déclinaison particulière. Dans le deuxième cas, la gamme n’est plus indiquée, il faut que Latitude soit précisé avant la référence. Dans ce cas, on a de nouveau les performances et format standard, un écran de 14”, et un modèle d’environ 2022, sans déclinaison particulière là non plus. Pour vous aider dans le décodage : Dell Latitude sur Wikipedia.
Et enfin chez HP, on a une convention stable au fil des ans :
Dans le premier cas, on a un 7
qui désigne souvent un modèle un peu moins onéreux, un écran 14”, un processeur AMD, le tout datant de 2019. Dans le second cas, on a un modèle 8
, donc plus onéreux, un écran 14” toujours, un processeur Intel, tout ça fabriqué en 2022. Pour vous aider dans le décodage : HP Elitebook sur Wikipedia.
Combien ça coûte ? Ça décote ?
Maintenant qu’on a vu cette histoire de gamme, on peut donc se fixer un modèle le plus standard possible, et voir comment son prix décote au fil des ans. Pour ça j’ai sélectionné le T4X0/T14 Gen X
chez Lenovo, le E54X0/54X0
chez Dell et le 840 GX
chez HP, où le X représente bien entendu la génération à chaque fois. On est sur des PC qui valent 1500 à 3000 euros neufs, et je suis allé collecté pour chaque référence le prix des ~5/6 premières offres disponibles sur leboncoin avec une moyenne au doigt mouillé. Voilà les résultats :
On voit une décote forte durant les 2 premières années, et encore les 2 années qui suivent. Après c’est beaucoup moins impressionnant pour arriver à un prix autour de 100 euros après 10 ans, le prix ne baissant pas significativement pour des PC plus anciens. D’ailleurs il n’est pas très pertinent de prendre plus vieux, car là ça commence à devenir compliqué à utiliser (même si c’est totalement possible).
On pourrait croire que Dell est moins cher, mais c’est en réalité un biais dans mon choix de référence, j’aurais probablement du prendre du E74X0/74X0
qui aurait été plus proche des gammes de Lenovo et HP. Il est fort à parier alors que les barres auraient été très proches. D’ailleurs, hormis Dell, on voit bien que la différence est presque anecdotique entre les fabricants, c’est dire à quel point ce segment est standardisé.
À noter donc que vous pouvez avoir un ordinateur fonctionnel, de bonne qualité, rapide pour de la bureautique et du multimédia à 100 euros, qui sera de bien meilleure facture qu’un ordinateur à 600 euros neuf. Et pour 600 euros, vous avez presque une Rolls Royce !
Mise en pratique
Plus haut je parle de Leboncoin, et c’est vrai que les sites de petites annonces sont pas mal pour dénicher des affaires, on peut noter aussi Ebay. Si vous êtes plusieurs, l’État vend aux enchères des lots quand il renouvelle son parc. Vous pouvez aussi simplement essayer de récupérer les PC portables d’une entreprise. Si vous voulez plus d’assurance sur la qualité, vous pouvez regarder du côté des gens qui reconditionnent de manière professionnelle comme Backmarket. Enfin des entités comme Emmaüs Connect, ou Lalis à Lyon, peuvent parfois vous louer un ordinateur reconditionné à petit prix.
Pour ma part, je me suis procuré 2 Lenovo T440 et 1 Lenovo T440s sur Leboncoin pour respectivement 130, 120 et 110 euros (frais de port compris) pour un projet d’atelier numérique. Un des trois est un peu abîmé (touchpad malade et coque cassée à un endroit) mais les deux autres sont biens. Deux des trois ont un disque dur mécanique, vestige des années 2010, nos systèmes sont maintenant conçus pour des SSD beaucoup plus rapides : pour un usage vraiment polyvalent, il faudra donc remplacer ces disques mécaniques par un SSD. Mis à part ces quelques frais à prévoir, ils n’ont pas à rougir face à un ordinateur de 2023.
Des limites
Bon cette approche a bien entendu des limites. On a vu la première : il y a un peu de maintenance à faire (changer un touchpad, changer les disques). De manière générale, en occasion, surtout de 10 ans, vous pourriez vous retrouver avec les opérations suivantes à réaliser : changer le disque, ajouter de la RAM, changer la batterie, changer la pâte thermique sur votre processeur, changer le système d’exploitation (pour Linux bien sûr). Toute ces tâches sont réalisables chez soit avec un simple tournevis, un guide détaillé, et un peu de temps quand même. Mais avec un ordinateur neuf, à moins de le jeter après 2 ans, vous allez aussi vous retrouver à faire ça. Donc c’est une question plus large : est-ce qu’on jette ou est-ce qu’on fait de la maintenance ? Alors bien sûr, dans une approche individuelle, on pourra pas faire la maintenance de tout. Mais rien ne nous oblige à faire de l’individualisme notre seul horizon. Rappelez-vous que les boutiques de réparation ça existe, que vous avez des proches et de la famille, que parfois la DSI de votre boite peut vous donner un coup de main, que les Repair Café ça existe, qu’Internet fourmille de ressources, etc.
Il faut aussi noter qu’on a visé des ordinateurs qui couvrent ~80% des usages. Vous ne pourrez pas faire de montage vidéo 4k ou de jeu vidéo photoréaliste avec par exemple : ce sont les 20% restants. Ici je parie sur un changement de vos usages. Par exemple pour le jeu vidéo, allez donc faire un tour du côté de la scène indépendante, avec des titres comme Gris, Céleste, Fez, etc. qui valent largement le détour et tourneront merveilleusement bien sur ces machines.
Aussi, ce que je vous propose là est une bidouille, un guide de survie, pas à un modèle désirable pour la société. Ça marche parce qu’aujourd’hui l’occasion est largement sous-évaluée par manque de connaissance du marché et des techniques de maintenance par les gens, et aussi parce que les entreprises renouvellent très fréquemment leur parc informatique. Enfin, les intuitions et indicateurs que je vous ai donné ne tiennent que parce qu’ils sont peu utilisés ; le jour où les gens s’y référeront massivement, ils seront biaisés pour des raisons marketing. Au mieux, ça peut dessiner les traits de quelque chose de plus enviable, via de la standardisation, de la réparabilité, la fin de la course à la performance, des conceptions plus robustes, etc. mais pour imaginer un changement plus profond, on doit forcément questionner nos modes de production et l’organisation de la société.
Ensuite, mes conseils permettent de dégrossir votre achat, mais dans le détail des subtilités peuvent toujours se glisser. Une marque, une gamme, peut évoluer. Par exemple, la revente de la marque “Thinkpad” par IBM à Lenovo a fait couler beaucoup d’encre. Une génération peut aussi être particulièrement mauvaise, par exemple la génération T440 a eu des nouveaux touchpads qui ont été très critiqués, la génération suivante (T450) est revenue aux anciens touchpads (ceux de la T430). Si vous voulez vraiment faire un choix informé, il faudra parcourir les internet à la recherche d’info une fois votre référence choisie.
Enfin, rappelez-vous que ce guide est situé dans le temps et l’espace : en France Métropolitaine et en 2023. Par exemple, ce guide aurait été beaucoup moins valable sur la décennie 2000 à 2010 où les évolutions étaient très importantes dans le domaine des ordinateurs portables. Pas sûr non plus qu’il soit valable dans un climat tropical, où on sait que la chaleur et l’humidité augmentent fortement le taux de pannes de l’électronique.
En conclusion
Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose de cet article, rappelez-vous que ce n’est pas parce qu’un ordinateur portable est neuf qu’il est mieux. Des ordinateurs de 10 ans en occasion tiennent largement la comparaison face à des ordinateurs neuf d’aujourd’hui à 600 euros, pour le sixième de leur prix. Et que ce n’est pas normal de ne pas garder un ordinateur portable 10 ans aujourd’hui.
Et si en plus vous retenez qu’un ordinateur, comme tout objet technique, ça s’entretient, que de choisir la qualité, la robustesse et la standardisation paye sur le long terme, alors c’est bingo ! Et à dans 10 ans pour un nouveau guide, avant ça ne sert à rien, vous n’en aurez pas besoin :-P