La 5G est une norme qui a été créée dans un but commercial. Son objectif ? Générer des revenues pour les entreprises qui la conçoive et la déploie. De telles conditions influent nécessairement sur son fonctionnement, et en l’absence de débat démocratique, aucune régulation ou contrainte n’a pu être apportée. En avançant l’intérêt commun, je pense qu’elle échoue sur 5 plans.
Exploiter correctement les réseaux
Tout ce bruit autour de la 5G nous fait oublier que pour améliorer notre confort on pourrait commencer par… déployer correctement les réseaux actuels ! C’est à dire, commencer par câbler correctement leurs antennes puis connecter ces antennes à un réseau fibre en bon état.
D’un point de vue logiciel, nos téléphones supportent de nombreux protocoles non utilisés mais susceptible d’améliorer d’une manière ou d’une autre notre confort : VoLTE, VoWiFi, IPv6, EAP-SIM, etc. mais aucun opérateur mobile à ce jour en France ne les propose tous.
Pire, le protocole Cell Broadcast présenté à Paris en 1997 n’est tout simplement pas déployé en France. Il permet d’envoyer des SMS d’urgence rapidement et efficacement à tous les téléphones sur une zone définie, même sans abonnement. Ce qui aurait été bien pratique en mars 2020 quand l’État communiquait sur le confinement.
Dommage que le progrès n’inclue pas de sauver des vies ou de déployer correctement un réseau. Oui mais, ce réseau sera écologique…
Dépasser l’écologie de posture
On lit que la 5G consommera moins que la 4G pour la même quantité de données échangées : quelle drôle de façon de voir les choses ! On peut généraliser cette démarche écologique miracle facilement : les voitures consomment moins d’essence par unité de masse déplacée, les écrans consomment moins d’énergie par unité de surface, les avions consomment moins de kérosène par unité de distance. Sauf que les voitures sont plus lourdes, les écrans plus grands, et les avions font plus de distance, en somme l’effet rebond. En pratique, la 5G consommera autant qu’avant, comme nos voitures, comme nos écrans et comme tout le reste.
Une critique également formulée contre la 5G, c’est qu’elle accélérait le renouvellement des terminaux mobiles. Critique rapidement débunkée : avec un renouvellement tous les 2 ans, les choses se feront naturellement : les téléphones vendus depuis quelque temps sont déjà compatibles et le renouvellement du parc de smartphone devrait bien se synchroniser avec le déploiement des antennes. Pourquoi se poser des questions puisqu’on vous dit que tout va bien !
Pourtant, certains s’acharnent et promeuvent une sobriété technologique. Sobriété salutaire pour le numérique à en croire la loi (empirique) de Wirth qui dit que “les logiciels ralentissent plus vite que le matériel ne devient rapide”. En pratique ça marche la sobriété : le site web Low Tech Magazine charge vite peu importe votre connexion ou votre matériel. Pourquoi ? Il était nécessaire de l’optimiser car il fonctionne sur panneau solaire avec un petit ordinateur peu puissant. Pour Netflix, on pourrait pré-télécharger notre série la nuit, là où le réseau est le moins utilisé et recharger notre téléphone moins souvent car utiliser le réseau 5G ou 4G vide la batterie. D’ailleurs, recharger sa batterie moins souvent, c’est l’user moins vite et garder votre téléphone un peu plus. Et on pourrait continuer longtemps…
Dommage qu’il n’y ai pas de marché pour la sobriété, les possibilités de disruption semblent légions. De la critique, de la critique, proposez quelque chose !
S’ouvrir à la société civile
Vous saviez que le petit nom de code de la 4G c’est LTE, pour Long Term Evolution ? Cette évolution à long terme aura donc duré… 10 ans à peu près. Mais comment ça se passe la création d’une norme ? Des grandes entreprises se réunissent au sein d’un club très privé, 3GPP. Ensuite, elles créent une norme pour laquelle on doit utiliser leurs brevets. Une fois que le brevet a expiré, au bout de 20 ans, on recrée une autre norme. Il faut environ 10 ans pour concevoir la norme, on peut l’exploiter donc pendant 10 ans avant de devoir faire de nouveaux brevets et donc… une nouvelle norme !
Mais les brevets, c’est important, ça stimule l’innovation ! Il faudrait peut-être informer l’IETF et le W3C, qui définissent respectivement les standards pour internet et le web, et qui fonctionnent (majoritairement) sans brevet. Hasard des choses probablement, ces organismes sont également plus ouverts et acceptent des gens de la société civile. Par exemple, Aaron Schwartz, militant politique et hacktiviste, participa à l’age de 14 ans à l’élaboration du protocole RSS au sein du W3C. Impensable pour la 5G.
Dommage que ce soit un club privé, on aurait pu discuter. Oui mais c’est pour notre bien, ils savent ce qui est bon pour nous…
Créer une technologie “conviviale”
Dans notre société, on peut à la fois se moquer des anti-ondes et s’inquiéter du danger “des écrans” sur nos petites têtes blondes. Pourtant, il me semble que dans les deux cas, les questions de santé ne se posent pas tant sur les objets techniques que sur les usages de nos outils numériques. Si du jour au lendemain sur nos terminaux il n’y avait plus de vidéos, plus de réseaux sociaux et plus de jeux vidéo, est ce que “les écrans” seraient encore perçus comme dangereux pour nos enfants ? Ou est-ce que l’on reconnait qu’on a créé des services optimisés pour retenir l’attention, mobilisant toutes nos connaissances en sciences cognitives et sociales ? Autrement dit, ne projetons-nous pas sur l’objet une critique de l’économie de l’attention ?
Dans ce cas là, il faut reconsidérer les choses : on ne se moque plus, tout le monde a ses croyances et ses inquiétudes, et en plus elles sont légitimes. Il devient alors important de réfléchir aux usages que l’on crée, que l’on autorise quand on déploie une technologie. Par exemple, on pourrait utiliser le concept de d’outil convivial d’Illich qui dit que “l’outil doit être générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle; ne doit susciter ni esclave ni maître; doit élargir le rayon d’action personnelle.” Peut-être que la 5G paraitrait plus conviviale si elle était conçue pour des applications permettant de s’affranchir d’applications basée sur l’économie de l’attention ?
Dommage que l’économie de l’attention ne soit pas conviviale. Il faudrait vivre sans numérique alors, comme les Amish ?
Donner le contrôle aux utilisateurs, dissoudre le pouvoir
Bien qu’on leur ai interdit l’accès aux réseaux 3G, 4G et 5G, hacker·euses, libristes et autres passionné·es n’ont pas pour autant jeté l’éponge. Notons tout d’abord, Corinna “Elektra” Aichele (photo ci-dessus), co-fondatrice de l’organisation FreiFunk, littéralement “Radio Libre”, qui regroupe plus de 40 000 personnes qui à la fois maintiennent et utilisent un réseau sans fil. Elle est également à l’origine de nombreux projets comme Mesh Potato qui permet de créer un réseau téléphonique avec pas ou peu d’infrastructure, toujours contrôlé par les utilisateurs. Dans ces réseaux, il n’y a pas de différence entre opérateur et utilisateur. Ces joyeux lurons se réunissent régulièrement au sein d’évènements comme le BattleMesh pour partager leur passion, pour moi c’est une source intarissable d’idées, d’alternatives, de possibilités.
N’oublions pas les radio amateurs, moins focalisés sur le logiciel, mais qui pallient parfois les défaillances de l’État comme lors de feux en Australie ou pour se préparer à un éventuel tsunami dans les Caraïbes avec le réseau Carib Wave. Eux aussi ont des choses à dire.
Malheureusement les ondes radios étant très réglementées, leurs possibilités d’actions restent très limitées. La prochaine fois que vous entendez parler de la 5G, pensez à tout ce qu’on pourrait faire, pensez à tout ces gens motivés et compétents, dont vous n’entendrez pas parler et à qui on ne donnera pas les moyen de développer leur idée. Alors vous saurez qu’un débat démocratique est nécessaire et vous demanderez, comme moi, qu’on entende tout le monde et pas que les industriels.